lundi 9 mai 2011

Les Pileuses Confrontées Aux Agressions Sexuelles

En regard des difficultés que vivent les domestiques dans les maisons, les pileuses crient au secours. Depuis fort longtemps, elles se sont installées à Médina, rue 11x20. Un coin où ruisselle souvent une eau noirâtre. A côté des menuisiers concentrés sur leurs établis, des sacs de mil, du maïs en poudre, de la farine, s’entassent à l’entrée.
« Sockoucay » - le lieu où l’on pile le mil, c’est la désignation pour ce coin où l’on trouve les femmes pileuses. Un endroit très étroit, sombre, encombré par des calebasses et des planches.  Les cases sont établies par concession à l’aide de tôles de zinc. On a comme l’impression d’être dans un petit village. Les matelas et nattes sont étalés sur des planches dans ce qui leur sert de dortoirs. Sacs remplis de pains, de sucre, valises, débarras, couvertures se trouvent sur les lits. Les mouches virevoltent et se posent sur les bassines de couscous. Des récipients d’eau, des ustensiles de cuisine, des bouteilles sont éparpillés sur les allées. Des planches et des pagnes leur servent de rideaux. Il n’y a pas de toilettes à « Sockoucay ». Elles font leurs besoins chez les voisins.
Assises sur des banquettes, les unes tamisent le mil, les autres nettoient le maïs. D’autres transforment la poudre de mil en couscous et d’autres sont dans la préparation et attisent le feu sur lequel est posé une marmite d’eau pour étuver les grains céréales. Impossible de parler avec ces femmes qui, la quarantaine sonnée, ne veulent plus s’ouvrir à la presse.  « Nous sommes fatiguées de converser tous les jours alors que cela ne change pas la situation », disent-elles. « S’il te plait laisse nous travailler. Nous n’avons pas envie de discuter », ajoute une autre sur un ton dur. La patience paiera au bout d’un temps. Fatou Sarr, ressortissante de Ngaye, teint noir, taille élancée, se rapproche de nous. « J’ai l’impression que vous n’avez rien à faire. Vous avez vraiment de la patience ».  Dans une discussion sur la cherté de la vie, elle explique, « nous vivons des moments difficiles. Au début les clients venaient pour qu’on leur pile le mil, mais avec la conjoncture économique rien ne marche. Quand la récolte n’est pas bonne, nous sommes obligées d’acheter le mil dans les boutiques. Nous nous sommes lancées à la transformation de la poudre en couscous par manque de clients. Les temps sont durs. Nous quittons nos villages pour faire ce travail. Le peu que nous gagnons, nous permet tout juste de vivre », soutient-t-elle. Selon la dame, piler le mil, n’est pas une profession. « Mais nous ne pouvons rien faire d’autre. Quand je suis venue pour la première fois à Dakar, je voulais être domestique. Je suis entrée dans une maison, les propriétaires m’ont dit qu’ils ne font pas travailler les vieilles dames. J’ai tourné ainsi pendant deux semaines. Puis je me suis mise à faire le linge. C’était la même chose J’ai alors décidé finalement d’être pileuse et à l’aide de la machine je m’en sors. Mais pour le moulin, il faut faire le rang la veille. C’est un travail difficile ; tu te lèves tôt le matin et tu te couches après 23 heures. Nous dépensons beaucoup et nous gagnons peu. Tu achètes du bois à 2.000 Fcfa le kilo, l’eau à 50 Fcfa la bassine, au moulin ce que tu payes dépend de la quantité de farine. Les coupures d’électricité retardent notre travail », souligne Fatou Sarr.


Chacun se débrouille pour ses repas
Au même moment, Ndèye Ndiaye se prépare à partir sur Bambey. Elle attache ses bagages à l’aide d’un pagne. « Je rends visite à mes enfants. Tout le travail que nous abattons, c’est pour eux. Beaucoup d’entre nous sont veuves.  Le travail marche au ralenti.  De plus, nous ne faisons que du couscous, pendant que de plus en plus, les gens préfèrent l’acheter directement en sachet dans les boutiques.  Même si c’est nous qui le préparons. Pendant les cérémonies religieuses, nous gagnons plus. Allant plus loin, ces dames se plaignent du manque de solidarité. « Ici, chacun se débrouille pour ses repas » disent-elles.   « Nous ne sommes pas des prostituées. Nous avons même dépassé l’âge. Chaque jour, des chasseurs de femmes viennent nous agacer. Ils attendent la nuit quand tout est calme pour le faire », informe Ndèye.
Ce que confirme Fatou Ngom : « nos cases n’ont pas de portes. En pleine nuit, tu sens un corps étranger sur toi et quand tu cries, il s’enfuit. Nous ne sommes pas en sécurité. Que les hommes nous laissent tranquille », a-t-elle lancé.
« Certains hommes font la commande pendant la journée et attendent la nuit pour récupérer leur couscous. Quand tu leur livres le produit, ils commencent par te caresser les fesses. D’autres mettent leurs mains dans tes seins au moment où tu te baisses pour mettre le produit dans un sachet.
Autant d’agressions sexuelles, alors que nous sommes de vieilles dames ». Et Fatou Ngom d’ajouter : « chaque jour, nous lançons des messages à la presse mais rien », se désole-t-elle. En plus, ces pileuses sont confrontées à toutes sortes de difficultés durant l’hivernage. Elles sont comme des sans-abri. Les cases ne sont pas bien faites. Elles ne protègent pas contre les pluies diluviennes.  Selon Codou Ndong, ressortissante de Guinguinéo, « nous passons des nuits blanches quand il pleut. Toutes les cases sont inondées.
Les matelas sont mouillés. Nous marchons sous les eaux de pluie. La poudre de mil devient de la bouillie. Nous perdons presque tout notre matériel », lancent-elles en se plaignant de ne recevoir guère d’aide. « Et c’est dommage parce que tout le monde nous connait. Même ceux qui sont du gouvernement, puisque leurs femmes viennent maintes fois ici pour chercher du couscous. Qu’elles disent à leurs maris de nous aider. Nous sommes dans le besoin », supplie-t-elle. Certains programmes semblent n’être qu’une goutte d’eau dans la mer, souligne une étude d’Enda-rup préalable aux travaux de réhabilitation et de restructuration du quartier Khadimou rassoul (ex-Rail) où Angela Plantamura a soulevé la question de l’intégration dans le paysage urbain, de « fortes densités de populations : employées de maison, lingères, marchands ambulants, brocanteurs, artisans, pileuses, lavandières ».  Mais toujours, les pileuses de la Médina crient leur ras-le-bol et demandent aux bonnes volontés de leur venir en aide.

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